Paradoxe : derrière les exigences de l’immédiateté, c’est autant par la multiplicité des formes d’expressions que par la maîtrise du temps long et une réelle prise de hauteur que les politiques bâtiront une relation confiante avec les Français. C’est l’une des conclusions qui ressort du débat organisé par l’Apacom en clôture des #10joursdecom sur le thème de la crédibilité de la parole politique.
Une cinquantaine de personnes – en majorité des communicants publics mais également des membres de cabinets d’élus ou des représentants d’agences – occupaient La Grande Poste au coeur de Bordeaux pour écouter et échanger avec deux élus, Nathalie Delattre, vice-présidente du Sénat, conseillère municipale de Bordeaux, Philippe Buisson, maire de Libourne et président de la Cali, avec une journaliste, Laurie Bosdecher, cheffe des informations Gironde du journal Sud Ouest et avec un politologue, Jean-Daniel Lévy, directeur délégué d’Harris Interactive. Une rencontre préparée, animée et ici relatée par l’ancien président de l’Apacom Charles-Marie Boret, consultant en communication publique.
Les intervenants ont d’abord battu en brèche l’impression communément répandue du désintérêt des Français pour la politique. « On constate dans les études, comme dans les audiences TV un réel appétit des Français pour la politique » souligne Jean-Daniel Lévy qui relativise les chiffres de l’abstention aux dernières municipales : « Les gens n’ont pas compris qu’on maintienne des élections alors qu’on annonçait le couvre-feu. Mais il y a aussi des signaux positifs comme la remontée de la participation aux européennes en 2019 » (+ 10 points par rapport à 2014).
S’il est une chose que la pandémie nous aura apprise, c’est que la parole politique est très écoutée lorsque les circonstances l’exigent. Ce fut vrai au sommet de l’Etat ; ça le fut aussi dans les communes. « Les audiences de nos facebook live ont atteint 1500 personnes ; ce qui dans une ville de 25 000 habitants représente un beau taux de pénétration ! » Cet intérêt est avéré au-delà des moments de crise, puisque la retransmission des conseils municipaux en direct (et en différé) dans la plupart des communes attire des téléspectateurs en bien plus grand nombre que ne l’étaient précédemment les spectateurs. Multiplier les canaux, notamment digitaux, est donc une nécessité pour activer ou maintenir le lien avec les citoyens.
Une fois actés ces points positifs, tous les intervenants font le même constat d’une difficulté réelle à intéresser les citoyens sur de nombreux sujets. Les raisons en sont nombreuses. « La parole politique est noyée dans l’hyperconsommation » souligne Nathalie Delattre, alors que Laurie Bosdecher évoque « la saturation de l’espace médiatique ». Sans oublier « l’empilement des compétences incompréhensible entre l’intercommunalité, le département, la région » rappelle Philippe Buisson. Plus que vis-à-vis de leurs élus, les Français seraient-ils en réalité méfiants vis-à-vis de la machinerie politico-administrative (qui le leur rend bien) ? Ses lourdeurs et lenteurs sont en tout cas un point très délicat à gérer pour l’élu car « il faut être sans arrêt sur le dos des services et des administrations pour s’assurer que les choses avancent et pouvoir le dire aux gens, sinon ça traîne » explique Nathalie Delattre.
Pour cette dernière, comme pour Philippe Buisson, une des clés réside dans l’animation de la relation de proximité. Bien qu’occupant des responsabilités nationales dans leurs partis respectifs – elle est vice-présidente du Parti Radical, lui a occupé des fonctions à la direction du PS – ils se considèrent d’abord comme des élus locaux. Tous les deux sont actifs sur les réseaux sociaux, mais la vice-présidente du Sénat rappelle : « quand j’étais maire de quartier, mon meilleur outil de communication… c’était ma carte de visite avec mon numéro de téléphone mobile personnel. »
C’est sans doute là que le rôle des communicants publics peut s’affirmer : orchestrer les instruments dont ils disposent – et en créer de nouveaux si besoin – pour susciter l’intérêt, pour aller au-devant des personnes, pour « vendre » leurs sujets car « communiquer n’est pas un crime, c’est même indispensable aujourd’hui » rappelle Laurie Bosdecher qui poursuit : « Pour nous les journalistes, il n’y a pas de problème à avoir des interlocuteurs qui sont des communicants, qui font la mise en forme des messages, c’est à nous d’analyser. »
Enfin, dernier point à noter pour une communication publique créatrice de confiance, c’est la notion de construction progressive, à travers quelques « fondamentaux » bien identifiés ; Philippe Buisson explique d’ailleurs en partie l’état actuel de la gauche par l’abandon de ses propres sujets. Dans le maelstrom médiatique, toutes les expressions, dans leurs très diverses formes, peuvent être replacées dans une perspective de temps. « Les Français ont de lourdes interrogations de fond qui sont d’essence politique ; certaines de ces inquiétudes sont d’ailleurs bien plus partagées qu’on ne le croit généralement, notamment les conséquences du dérèglement climatique qui inquiètent toutes les catégories » rappelle Jean-Daniel Lévy. C’est donc aux politiques de réussir à se situer dans ce registre, tout en gérant les multiples et indispensables expressions quotidiennes, liées à l’actualité ou à des préoccupations diverses. Une gageure.
Charles-Marie Boret