Élus dès le premier tour des municipales, certains conseils municipaux et leurs équipes ont entamé une communication pour se faire connaitre auprès de leurs administrés. Un nouvel élément fait son apparition dans ces présentations : le masque ! Entre choix de communication, images véhiculées et sens cachés, Martine Versel, sémiologue à l’Université Bordeaux Montaigne et Magali Bignon, Directrice de la communication de la ville de Gradignan, nous offrent leurs éclairages sur le sujet.
En communication, aucun signe, aucune image n’est utilisée et diffusée par hasard et sans intention. L’apparition des masques dans la communication des nouveaux conseils municipaux de certaines villes et de certains villages pousse les communicants à s’interroger sur ce nouvel élément. Le masque, méconnu de la culture européenne, s’est imposé en force dans toute la société et dans tous les rapports sociaux depuis la crise du Covid-19. Cet « objet » prend alors une place considérable dans la vie des français, et les collectivités locales n’y font pas exception.
UN EXEMPLE LOCAL, LA MAIRIE DE GRADIGNAN
À la mairie de Gradignan, on a fait le choix d’allier premier conseil municipal (des nouveaux élus) et masques. Une opération massivement relayée dans la presse locale, régionale et même européenne, qui a permis à la collectivité d’avoir une belle visibilité. Magali Bignon, adhérente de l’APACOM et Directrice de la communication pour la mairie de Gradignan nous en dit plus.
« On a décidé de ne pas publier de photo de groupe habituelle pour présenter le conseil municipal cette fois-ci. Une ou deux photos de groupe avec masques ont été bien réalisées mais uniquement dans une intention « d’archives » ». Les traditionnelles photos individuelles de présentations des élus se sont elles faites sans masques. « Une photo masquée, on trouvait que c’était important « en archive » à l’instant T mais que cela ne reflèterait pas les six ans de mandat. »
D’autre part, à situation exceptionnelle, cadre exceptionnel. C’est « au jardin » que Gradignan a choisi d’installer son Conseil Municipal en mai dernier, en plein air, dans un parc, avec respect des gestes barrières, distance entre chaque table individuelle et port du masque par les élus. « C’était une première en France ! Cela nous a d’ailleurs valu de très nombreuses retombées médias. Nous avons fait des contraintes sanitaires, un élément de communication positif. Images vidéos, photos et dépêche de L’Agence France Presse ont été reprises dans de nombreux supports en France et à l’étranger. En terme d’image et d’identité de la Ville, cela correspondait tout à fait à ville des parcs au sein de la métropole bordelaise… Dans les yeux des médias et du public, il y avait une ambiance bucolique toute particulière. »
Elle ajoute : « Ce conseil municipal a été un temps fort de la vie démocratique pour Gradignan. Comme il se déroulait dans un parc ouvert à tous, les passants pouvaient s’arrêter pour y assister. Le maire, Michel Labardin, ne voulait pas que ce premier Conseil se tienne à huis clos, mais il ne pouvait pas non plus créer un évènement et susciter de regroupement. Finalement, dans le respect des gestes barrières, les habitants ont pu voir en direct leurs nouveaux élus se réunir et débattre, sur place mais aussi en direct sur Youtube ».
Magali Bignon s’interroge sur une potentielle rentrée du masque dans les habitudes de communication des collectivités. « Nous avons tous intérêt à être des acteurs d’une communication de santé publique, donc je pense que oui, en fonction des règles sanitaires qui vont s’imposer, en terme d’image, les collectivités seront un miroir de ces règles. Aussi, c’est évidemment un outil de communication. Le masque peut être le centre d’une opération de communication solidaire, comme nous l’avons fait pendant le confinement avec « masque en poche », en offrant des kits de tissu à ceux qui souhaitaient confectionner leurs premiers masques et en offrir aux plus fragiles. »
UN MASQUE AUX NOMBREUX SIGNES ET SYMBOLES
Martine Versel, sémiologue dans le champ des Sciences de la Communication, nous livre son analyse sur cette nouveauté dans la communication des collectivités.
« Avant de parler des enjeux de communication, la première chose que je pourrais dire, c’est que la représentation d’une équipe de mairie est une image qui a une portée symbolique. Dans le temps de crise que nous sommes en train de traverser, la fonction du symbole a pris une place importante. Le discours, derrière le port du masque par un élu, insinue : je prends acte du sérieux des enjeux sanitaires actuels, et je donne l’exemple. Dans le contexte du signe, porter un masque à une valeur performative. Dans un second temps, le masque a été associé à un discours polémique, portant une contestation politique au-delà des enjeux sanitaires comme le démontre la situation très clivante aux Etats-Unis sur le port du masque. Cet objet fonctionnel se dote de multiples significations dès lors qu’il est porté par des personnalités publiques. L‘usage se transforme en symbole. »
Martine Versel poursuit en donnant quelques précisions sur le port du masque et les enjeux de communication qui en découlent. « La difficulté, c’est de faire la part des choses entre l’intention du message et la réception du message. L’intentionnalité ouvre une déclinaison d’interprétations en raison de la polyphonie de ce signe. On pourrait avancer que le port du masque occupe la fonction signifiante du blason tel qu’il s’entendait autrefois. Il affiche ce que je suis et qui je suis, non sans restaurer quelque peu le sens de l’honneur. »
Enfin, elle aborde le possible changement de valeur / de sens, du port du masque dans la société, notamment avec sa démocratisation soudaine. « Tout ceci est lié à la manière dont le discours public va accompagner la légitimité des préventions sanitaires,. On voit bien qu’il y a quelques remarques sur le président Macron qui porte des masques avec le logo du drapeau français. Il y a là une possible démonstration d’un masque “politique “ qui fait insigne comme blason. »
Bientôt, vont se réunir les conseils municipaux élus au second tour. Déjà, ces réunions sont prévues avec un accueil limité du public et avec le respect des règles sanitaires. Vont-ils aussi jouer la carte du masque comme outil de communication de santé publique lors de ces rassemblements ? Les photos de ces nouveaux conseils municipaux se feront-elles aussi avec un masque? Entre un déconfinement naissant pour les premiers conseils élus et une reprise de l’activité économique pour ceux entrés en fonction dimanche 28 juin, on s’attend à ce que les directives politiques influencent la communication des collectivités au sujet de la santé publique lors de leur présentation officielle.
Marie Chappaz