La France fête cette année le 50ème anniversaire des luttes sociales de mai 68. Les sociologues spécialistes des mouvements sociaux trouvent des similitudes mais aussi des divergences entre le printemps 1968 et le printemps 2018. Et du côté de la communication, existe-il également des similitudes ? Quelles étaient les techniques de communication des protestataires en 1968, et comment ont-elles évolué en 2018 ?
En 1968, des événements reportés dans tous les médias
Qu’on soit pour ou contre les idées défendues au printemps 1968, on leur accorde du crédit car elles ont su s’imposer dans l’agenda médiatique et politique en un temps record… et y rester. A l’époque, protestataires et hommes politiques se renvoient la balle pendant plusieurs semaines à travers la télévision, la radio et surtout les journaux. Nombreux sont ceux qui prennent parti d’un côté ou de l’autre : tout personnage public qui prend la parole choisit la communication formelle.
Mai 68 reste aujourd’hui le plus important mouvement contestataire et antiautoritaire de l’Histoire du XXème siècle. Cette révolte, qui est à la fois sociale, politique, culturelle et philosophique est dirigée contre le président de la République, contre le gouvernement, contre les instances décisionnaires et plus largement contre le consumérisme et le capitalisme.
Mai 68 marque la fracture entre la France pré-1968 qui a accepté le régime de la Vème République à la suite de la Seconde Guerre mondiale, et la France post-1968 qui réfute et remet en cause la légitimité des institutions.
Déjà, en 1968, la communication des mouvements contestataires s’était organisée. Bien loin des retweets et des commentaires sur Facebook, la communication était basée sur des affiches et des slogans forts et marquants : « sois jeune et tais-toi », « il est interdit d’interdire », « prenez vos désirs pour des réalités », « jouissez sans entrave »…[1] Au-delà de la violence, les mots, les déclarations, les tribunes étaient devenues des armes de communication. Qu’en reste-il aujourd’hui ?
En 2018, des événements suivis en direct sur les réseaux sociaux
De prime abord, les nostalgiques de mai 68 font planer leur ombre sur les nouvelles générations qui manifestent, qui occupent les universités, qui font signer des pétitions, qui interpellent le gouvernement.
Il y a des analogies entre le printemps 1968 et le printemps 2018. « Elections pièges à cons » est devenu « sélection piège à cons ». « Soyez réalistes, demandez l’impossible » est devenu « rien à dire, tout à faire ». Comme dans le passé, la violence est physique mais surtout verbale et dirigée entre autres vers les hommes d’Etat : on disait du Général De Gaulle « la chienlit, c’est lui », on interpelle aujourd’hui Emmanuel Macron « Allô Jupiter ici la Terre ».[2]
Il n’est donc pas illogique que les jeunes en colère soient « les enfants de mai 68 ». Cependant, si on s’intéresse uniquement à la communication qui entoure les mouvements sociaux de ce printemps, on retrouve sans surprise l’influence du digital sur la communication des protestataires. Les pétitions et les emplois du temps de la SNCF et de l’occupation des universités circulent sur Facebook, dans des groupes plus ou moins fermés et plus ou moins organisés. Chacun ajoute sa petite pierre à l’édifice en se fendant d’un tweet, d’une petite vidéo ou d’un pamphlet.[3]
Résultat ? Certains parlent d’un « paroxysme du grand n’importe quoi des réseaux sociaux ». La communication en 2018 n’a plus rien en commun avec celle de 1968.
Le rôle de l’imaginaire collectif
La puissance de mai 68 s’explique par trois facteurs qui ne sont pas (encore) réunis cette fois-ci : le facteur culturel, le facteur politique et le facteur universitaire. Ils ont décuplé l’ampleur du mouvement et nourri un lourd contentieux entre les jeunes et les adultes, entre les dirigeants et les salariés, entre les citoyens et les hommes politiques.
En 2018, même si les raisons de mécontentement ne manquent pas, le contexte est très différent. De nombreux mouvements s’organisent et séquestrent l’agenda médiatique, mais dans une ère où on nous montre tout, où on analyse tout et où l’information a une durée de vie courte, il n’est pas certain que le mouvement marquera autant l’Histoire.[4]
Henri Weber parle, dans Libération[5], de conflits sectoriels au printemps 2018 (par opposition au conflit général de 1968). Il ne parie pas sur un « nouveau mai 68 » : des convergences partielles peuvent et vont se produire, mais on restera loin de l’explosion sociale d’il y a 50 ans. Dans Paris Normandie[6], Sophie Coignard défend la même position.
N’oublions pas que si mai 68 reste une période débattue et analysée à l’infini, c’est parce qu’elle a marqué l’imaginaire collectif. Or, l’imaginaire collectif se forme grâce aux médias. Mai 68 a fait l’objet de documentaires d’archives, de reportages, d’articles, de films, de livres, de chansons et même de sketchs humoristiques.
L’imaginaire collectif se forme à notre insu, les médias ne le pensent pas a priori. Il se crée a posteriori. Alors, rendez-vous dans quelques années, quand nous reconnaitrons les différentes campagnes de communication protestataires à la télé, peut-être à l’occasion d’une rétrospective sur « les événements de mai 18 »…
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Julie Cazalis
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Sources :
[3] Observatoire du Journalisme
Crédits photo : L’Express, le Huffington Post, Getty Images