On les dit en crise. Et pourtant, les chiffres qui circulent autour d’eux sont vertigineux : ils représentent 25 % du commerce de détail en France et les flux financiers investis sur leur marché ont atteint en 2014 plus de 5 milliards d’euros. Mais leur modèle, il est vrai, donne des signes de fatigue depuis sa création en 1960. Les voilà aujourd’hui à la croisée des chemins … nos chers centres commerciaux.
Oui ils sont bousculés, parce que nos habitudes et nos usages de consommation ont changé, parce que l’e-commerce et ses pratiques s’installent, parce que les scandales alimentaires n’arrangent rien… Ce qui n’a pas empêché de les voir se multiplier : So Ouest dans l’Ouest parisien, L’Ilo à Epinay sur Seine, Saint Lazare-Paris au cœur de la gare parisienne, Aéroville à Trembley-en-France, OneNation aux Clayes-sous-Bois, Quartz à Villeneuve-la-Garenne, Les Terrasses du Port à Marseille… tous animés par la même ambition : redoubler d’imagination pour retrouver les faveurs du public !
Une première stratégie consiste à sortir d’une offre commerciale traditionnelle et à mixer des enseignes attendues et «moins attendues», des services client (voituriers, grooms, orientation intuitive…), des animations de diverses natures, le tout dans un cadre architectural repensé (coupoles, passerelles, atrium…). Cette nouvelle génération de centres commerciaux répond aux attentes actuelles des consommateurs, marquées par une recherche d’efficacité et de simplification sans pour autant renoncer à l’étonnement et à l’idée de vivre une «expérience» singulière.
Tour d’horizons de quelques initiatives marquantes.
Capter une population jeune ? Pensez gaming !
Le promoteur d’immobilier commercial Unibail-Rodamco ouvre le bal avec son partenariat noué avec Niantic Labs (filiale de Google) pour que les magasins de ses centres commerciaux soient acceptés comme «portails» du jeu de réalité alternée Ingress. Fonctionnant via la géolocalisation et Google Map, ce dernier permet aux joueurs de s’affronter dans le monde réel pour parvenir à la domination de la zone la plus vaste possible, chaque zone étant marquée par des «portails», des points stratégiques qui concentreront les événements des différents centres commerciaux. Dix-huit d’entre eux sont concernés par cet accord…
En quête d’animations, d’événements ou de nouveaux services susceptibles de maintenir leur attractivité, les centres commerciaux peuvent ainsi aller jusqu’à chercher à se rapprocher d’univers très éloignés du leur comme le prouve ici l’accord avec le jeu virtuel Ingress. Ce rapprochement n’en est pas moins stratégique. D’une part, parce que le principe de ce jeu est d’inciter à interagir avec le monde réel pour mieux redécouvrir les lieux familiers. Un bénéfice non négligeable pour des centres commerciaux dont une des principales préoccupations est d’assurer une bonne répartition de leurs visiteurs sur l’ensemble de leur zone d’activité. D’autre part, parce que cette gamification des centres commerciaux permet à ces derniers de séduire une population plus jeune, pour qui la ville est un terrain de jeu. S’«affronter» aujourd’hui entre joueurs à coups de photos afin de s’approprier une zone dans un centre commercial pour, demain, mieux retrouver le chemin des enseignes… Le pari vaut le coup d’être tenté…
Et s’il faut trouver d’autres moyens pour capter une population plus jeune, rendez vous à Nancy. Ici, un autre promoteur de centres commerciaux, Hammerson, a, quant à lui, lancé sa première «Student Night Session» : une soirée permettant aux étudiants qui se sont inscrits de bénéficier d’offres exclusives, d’un DJ, d’un bar à smoothies, de jeux d’arcades et d’un tirage au sort de bons d’achats !
Pour les familles… des services qui simplifient la vie !
Pas besoin forcément de haute technologie pour renforcer son attractivité. Loin de son expérience de gaming digital, Unibail-Rodamco proposait aussi, pendant les soldes, des places de cinéma aux enfants afin de permettre aux parents de faire leurs achats en toute tranquillité…. Des animateurs étaient présents à chaque séance pour encadrer les enfants.
A Toronto, WalMart a proposé, dans sa galerie, un emplacement à … un cabinet d’avocat. En installant ses bureaux dans un centre commercial, ce cabinet propose ses services à prix avantageux 7 jours sur 7 et jusqu’à 20 heures, sans rendez-vous, afin de se caler sur les horaires de l’hypermarché.
Enfin, même si cette dernière initiative peut paraître anecdotique (quoi que)… A Londres, le centre commercial Meadowhall a initié des voies de circulation, lentes ou rapides, comme sur les autoroutes ; le but étant de retenir les clients désireux de prendre leur temps et d’encourager leur promenade dans l’enceinte du centre.
Pour des consommateurs engagés … travaillez avec eux !
Auchan, dans le cadre de la réalisation il y a un an, de son centre commercial L’Ilo à Epinay sur Seine, avait eu l’idée de créer des comités de voisinage pour sélectionner les produits qui allaient être mis en vente et valider l’implantation des rayons. La ville, multicommunautaire, mêlant une centaine de nationalités et de nombreuses familles de plus de trois enfants, à pouvoir d’achat modeste, avait ainsi fortement influé sur l’offre discount et ethnique de l’hypermarché avant son ouverture. Une initiative innovante, saluée pour sa capacité à développer une offre commerciale adaptée aux besoins et au pouvoir d’achat des habitants de la zone commerciale.
Mais une initiative, aussi, qui montre à quel point le consommateur devient chaque jour un peu plus acteur de sa consommation, par son pouvoir de critique, mais aussi, désormais, plus en amont, par son pouvoir de conception ou de participation à des projets. Davantage écouté et impliqué dans la conception des offres qui lui sont destinées, le consommateur de demain n’en sera que davantage un relai pour mieux partager son expérience et contribuer, ainsi, à la réputation des marques et des enseignes concernées. Les approches collaboratives peuvent se révéler être de redoutables opérations de communication…
Dans un autre registre, et bien qu’encore expérimental, WalMart, encore lui, propose un nouveau un type de «contrat» entre enseignes et consommateurs. Après l’expérience de People’s Supermarket qui proposait à ses clients de travailler quatre heures par mois dans le magasin en échange de bons de réductions, WalMart propose désormais de participer aux livraisons ! Une manière inattendue de répondre aux attentes d’un certain profil de clients qui peuvent être motivés par la perspective de bénéficier de remises, qui disposent de temps libre ou qui ont envie de participer au fonctionnement d’une activité locale.
Aux côtés des clients-acteurs de leur consommation, voilà donc fraîchement arrivés, les «clients-collaborateurs».
Dominique Laborderie
D’après les analyses de L’ŒIL by LaSer