La « pub verte » a franchi la ligne jaune

Volkswagen diffuse depuis quelques jours à la télévision un spot publicitaire vantant les performances d’un nouveau véhicule de sa gamme en termes d’émissions de CO2. Ce spot tourne en ridicule les excès de zèle environnemental d’un groupe d’écolos convaincus de la nécessité d’une vie totalement « décarbonée », pris en défaut par une évidence : le fait même de respirer occasionne des rejets de CO2. La publicité conclut : « on ne peut pas vivre sans rejeter de CO2, tâchons déjà d’en rejeter un peu moins. Passat SW Blue Motion, 119g de CO2 et 4,5 litres au 100».

Avec le ton décalé dont Volkswagen est coutumier, usant d’une bonne dose d’humour qui a fait le succès de la marque et surfant sur l’éco-saturation d’une fraction de la population qui constitue sa cible privilégiée, l’agence V a conçu le spot qui a sans doute franchi le pas de trop dans la transgression publicitaire élitiste, autosatisfaite et totalement inconsciente de l’impact pernicieux de son message.

En positionnant sur le même plan des émissions de gaz à effet de serre sans commune mesure les unes avec les autres en termes d’impact environnemental (respirer et conduire une automobile), elle commet une erreur scientifique grossière et instille l’idée que l’impact des énergies fossiles sur le changement climatique est non seulement d’une nocivité toute relative mais aussi inévitable. Elle discrédite ce faisant toute approche alternative en dénigrant des éco-citoyens caricaturés en idéologues sectaires, bornés et rétrogrades.

Face aux critiques légitimes, les concepteurs de cette campagne se réfugieront sans doute derrière l’alibi du second degré, trop heureux de démontrer ainsi le manque d’humour et le dogmatisme dont font preuve leurs détracteurs. Les professionnels en charge du développement durable qui oeuvrent au sein de leurs entreprises et agences pour promouvoir des comportements respectueux de l’environnement, n’hésitent pas à utiliser l’humour pour sensibiliser. Mais il ne faut pas confondre humour et cynisme.

Il n’y a malheureusement pas de quoi rire, hormis de conceptions publicitaires d’un autre âge, dignes du pamphlet anti-pub « 99 francs ». A rebours des campagnes de sensibilisation publiques en faveur du développement durable, cette inconséquence produira immanquablement une régulation plus sévère du secteur publicitaire. En contrevenant sans scrupules au code de déontologie que la profession publicitaire s’est elle-même fixée (« la publicité ne doit pas discréditer les principes et objectifs, non plus que les conseils ou solutions, communément admis en matière de développement durable »), l’agence V signe très vraisemblablement l’acte de décès du système de régulation mis en place pendant le Grenelle de l’environnement pour endiguer l’usage abusif ou erroné d’arguments écologiques dans la publicité.

Sans compter surtout que cet aveuglement produira l’effet inverse de celui recherché. A quelques semaines de négociations climatiques cruciales à Copenhague pour lesquelles les acteurs du développement durable sont totalement mobilisés, l’agence V expose en effet la marque de son client à un risque de réputation majeur qui ne sera pas sans conséquences sur son image et ses ventes. La résolution des défis écologiques actuels ne peut faire l’économie de changements de comportements profonds et d’une évolution rapide de nos représentations individuelles et collectives de la réussite, du bonheur, du progrès, du confort, du vivre ensemble… Les ressources créatives des agences doivent plus que jamais être mobilisées à ces fins, afin de faire converger les besoins et attentes de nos concitoyens, des générations futures et de l’ensemble du monde vivant et les capacités de la planète à y répondre durablement.

Publicitaires et annonceurs doivent intégrer ces nouvelles exigences, agir et innover de façon responsable au risque de voir s’installer une défiance mortifère pour tout le secteur. Un nouveau système de co-régulation publicitaire, qui ne se réduit pas à une « auto-régulation entre amis », réellement ouvert à toutes les composantes de la société civile dont les associations environnementales et consuméristes, est aujourd’hui indispensable. Tout comme l’accélération et le renforcement des pratiques de développement durable au sein des entreprises. Le mérite du film Passat de Volkswagen aura peut-être été d’avoir convaincu de ce changement nécessaire ceux qui demeuraient encore sceptiques.
JM Gancille.

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