Les communicants le savent bien : l’anglais est partout. Nous faisons de l’inbound marketing, du storytelling, nous parlons par pitch, par trends, par followers. Même le slogan pour les Jeux Olympiques, Made for Sharing, est en anglais, ce qui a provoqué un tollé des défenseurs de la langue française. Où faut-il se situer ? La communication peut-elle s’affranchir de la langue anglaise ?
Répondre à un besoin de dénomination
Dénommer des choses, c’est un besoin intarissable. Au fur et à mesure que des concepts, des objets sont inventés, on a besoin de leur donner un nom pour pouvoir y faire référence. Et pour répondre à ce besoin, nous pouvons soit créer un mot à partir de « morceaux » que nous avons à notre disposition, soit emprunter ce mot à une langue étrangère. Et quand on fait un « pitch », on fait « une courte et percutante présentation ». C’est un mot qu’on a emprunté pour pouvoir dénommer quelque chose qui n’avait pas de nom propre en français, parce qu’avant cela, personne n’avait eu besoin de dénommer ce concept.
Deux synonymes ne peuvent pas cohabiter
La langue, c’est comme une théorie de l’évolution : si deux entités ont la même fonction, l’une va devoir s’effacer au profit de l’autre ou se spécialiser, se confiner dans une niche jusqu’alors inoccupée. C’est là qu’on en vient. Si je dis que je suis « speed », bien sûr que j’emploie un mot emprunté à l’anglais. Mais ce mot n’a plus le sens de « vitesse » qu’il avait à l’origine. Et il ne signifie pas non plus, en français, « rapide ». « Je suis speed » ne veut pas dire « je suis rapide » ou « je suis vitesse ». Ce mot s’est spécialisé dans le sens « j’ai fort à faire et j’ai peu de temps pour cela ». Aucun mot contenant ce sens ne désignait alors ce concept.
L’anglais : un enrichissement ?
Lors de l’essor des sciences et des techniques du XVIIème au XIXème siècle, la même réaction s’est fait entendre suite à l’ajout massif de termes issus du grec et du latin dans la langue française. On empruntait alors à ces langues en vertu de leur aura, on emprunte aujourd’hui à l’anglais en vertu de sa puissance économique et politique. Qui dit aujourd’hui que la langue française n’est pas riche de ses emprunts aux langues anciennes ? Les mêmes mécanismes sont aujourd’hui à l’œuvre. On invente des mots « comme l’autre langue ». Par exemple, on a emprunté des mots comme astrologue mais dermatologue n’existait pas en grec, il a été inventé de toutes pièces en français. De même, tennisman, parking et camping ne sont pas des mots de l’anglais. Ils ont été créés en français sur le modèle de mots existants. Alors le français s’est enrichi de mécanismes qui lui permettent de créer toujours plus de nouveaux mots, de s’enrichir toujours plus.
Doit-on pour autant céder à la tentation de l’anglais ?
Peut-être pas. Peut-être qu’il faut faire attention à conserver l’histoire de notre langue. Et si le mot défi est là, peut-être que challenge n’est pas nécessaire (de même que solutionner, qui n’est certes pas emprunté à l’anglais, est venu concurrencer résoudre qui était en place depuis bien longtemps mais bien plus difficile à conjuguer – mais là, c’est une autre histoire). A moins, bien-sûr, que challenge se spécialise et cesse d’être l’exact synonyme de défi. Il ne faut pas céder notre identité pour rentrer dans le moule des communicants qui sont « dans la vibes ». Mais il ne faut pas non plus s’empêcher d’écrire l’avenir de la langue française et se restreindre à un vain conservatisme.
Marine Lasserre