Les jeudi 25 et vendredi 26 août ont eu lieu la 22e université hommes-entreprises du CECA au Château Smith Haut Laffite à Martillac.
L’événement avait pour thème la « valorisation du capital humain » avec comme problématique « À titre individuel ou collectif, sommes-nous maître de notre destin ? ». Cette problématique a été construite à la suite des vers du poème Invictus : «je suis le maître de mon destin, le capitaine de mon âme».
Sur les deux jours, l’Université du CECA a accueilli plus de 550 personnes au Château Smith Haut-Laffite.
Synthèse des différentes conférences
Xavier Pommereau, médecin psychiatre – Le goût du risque à l’adolescence
L’adolescence (du latin adolecere, croitre), c’est, au sens biologique, de 12 à 18 ans… Aujourd’hui, c’est une nébuleuse qui dépasse ce cadre : dès 9 ans, les enfants se revendiquent pré-ados avec des besoins spécifiques (portables, films, lisseur à cheveux, etc.). La vision de l’adolescence a elle aussi changé, celle des autres et celle qu’ils se portent à eux-mêmes : ils sont désormais splendides et émancipés, et non plus « gauches » comme de « grands échalas ».
Peut-on vivre sans risque (du latin rececus qui donne en français le verbe reséquer, c’est-à-dire découper comme les récifs affleurant l’eau) ? Non. L’éducation consiste justement à les y préparer : apprendre à gérer le risque et ce dès la petite enfance, car l’adolescence n’est que le développement de ces étapes antérieures. Ils ont d’ailleurs besoin de se séparer, de se dissocier de leurs parents : « lâchez-moi ! » nous disent-ils. Ils ont raison. Il ne faut pas les surveiller, les localiser via leur téléphone mobile, mais au contraire les responsabiliser, leur donner les clés de compréhension des risques encourus et les laisser faire : ils ont besoin de cette reconnaissance parentale.
Laissons les petits enfants comme les adolescents, faire des expériences et accompagnons-les. Laissons les faire des erreurs, observer, recommencer, s’améliorer, s’affirmer, et ressentir la confiance, la satisfaction de leurs parents se développer toujours plus à leur égard. Apprenons leur à pondérer leurs actions, la vie n’est pas que double-clic. Faire du pain, des pâtes… S’alimenter et comprendre que c’est par l’effort et l’expérience qu’on obtient des choses.
Pascal Chaigneau, géopolitologue – Nouvelles fractures géopolitiques mondiales et défis sécuritaires
Vouloir imposer sa vision n’est pas régulateur mais perturbateur. « Ne pas subir » disait le maréchal Leclerc… En fait, les crises que les puissances fabriquent sont leurs cauchemars de demain : « on peut tout faire avec des baïonnettes, sauf s’assoir dessus » disait Talleyrand.
Aujourd’hui, le continent américain est devenu l’épicentre énergétique du monde, et les Saoudiens sur-réagissent pour amortir la « décote stratégique » dont parlait Susan Rice. Le Moyen-Orient se réorganise selon des ruptures sur l’échiquier international : l’Arabie Saoudite fabrique des guerres au Yemen et finance les révolutions au Maghreb ; l’Egypte gonfle les muscles avec ses achats militaires français et réprime dans le sang l’opposition sur son sol. L’Iran semble vouloir et pouvoir récupérer son destin de puissance régionale en finançant l’Etat islamique et en construisant une coopération militaire avec la Russie.
Les Chinois quant à eux souhaitent contrôler leur environnement avec une muraille de chine maritime au sud et une route de la soie à l’ouest. 1 300 entreprises chinoises s’implantent en Afrique de l’Est, à Djibouti avec la construction d’une base navale et ailleurs. L’Inde nationaliste a désormais comme doctrine : « l’océan indien ne sera plus un lac chinois »… Et la France sera sans doute médiatrice entre les deux puissances sur cette zone, ce qui ne sera pas aisé.
Quant à l’Afrique, elle veut enfin être maîtresse de son destin. Mais seul le Maroc a anticipé les changements, depuis le palais royal et non depuis son gouvernement. L’Algérie est ruinée suite à la baisse des cours du pétrole et des risques sont à envisager en terme migratoire pour la France. L’Egypte, avec le maréchal al-Sissi, a montré aux occidentaux et aux Américains que la rue n’est pas forcément la meilleure option pour la démocratie avec les Frères musulmans. La Libye est perdue sans la personnalisation du pouvoir de Kadhafi pour réunir les clans et lutter face à Daesh ; et il n’y pas d’espoir d’obtenir une résolution des Nations Unies pour une intervention internationale. Les migrants économiques mais aussi politiques sont à envisager pour l’Europe.
En conclusion, les politiques d’impérialisme, de nature militaire ou politique (démocratisation), sont les problèmes d’aujourd’hui mais surtout de demain. Mais à qui faudrait-il confier notre destin si ce n’est à des hommes politiques pris dans le « courtermisme » ?
François-Xavier Bellamy, maire adjoint de Versailles (enseignement et emploi) – L’échec de notre école est-il une fatalité ?
Selon le ministère de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, 19% des élèves de 3ème ne savent pas donner un sens à des informations simples, par exemple lire un programme de cinéma. Selon l’enquête PISA, nous avons le système scolaire le plus inégalitaire de l’OCDE.
Dans l’enseignement français, on part du principe que l’autorité (du professeur ou des parents) est quelque chose de pris sur la liberté de l’enfant. Remettre en question les présupposés de notre éducation pour être maître de son destin, c’était le rêve de Descartes : naître déjà adulte. Le doute comme méthode ; l’esprit critique comme but. Il s’agit d’apprendre à apprendre, comme on le pratique aujourd’hui.
Nous avons besoin des mots pour penser, pour sentir et ressentir le monde. L’œnologie le démontre, puisque nous sommes à Smith Haut-Lafitte. C’est le savoir qui fait autorité et qui permet de comprendre le monde. Notre erreur a été de croire en l’immédiateté à être comme Rousseau le pensait : il considérait l’homme comme naturellement bon, la culture asservissant les peuples et les conformant. Je pense au contraire que c’est le travail et l’apprentissage qui permettent l’expression du talent. Cet état d’enfance est le chemin qui doit être poursuivi toute la vie et qui passe nécessairement par l’éducation.
Hubert Vedrine, ancien ministre des Affaire étrangères – La France face à son destin
La démocratie de marché, chère aux Américains, ne s’est pas imposée face aux conflits. Malheureusement, il n’y a pas encore de communauté internationale pour ordonner le monde. Les Nations Unies ne sont pas unies ; elles sont un lieu de dialogue. Les Américains se posent la question des moyens du maintien de leur leadership, et les crises au Moyen-Orient en sont la preuve. La Chine veut dominer le monde mais sans prosélytisme à la différence de ces derniers. Sa logique est celle d’une puissance économique et militaire, pas politique. Quant à l’union européenne, elle ne cherche pas de domination. L’état du monde est le résultat de cette diversité et de l’absence d’organisation mondiale et de leadership incontesté. Les crises ouvertes entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, les sunnites et les chiites, vont durer jusqu’à épuisement des parties.
L’Europe, grande espérance, n’a jamais été souhaitée par les peuples. Ce sont les Etats-Unis et l’Union soviétique qui ont fait la paix, pas l’Europe. L’épopée de la relance européenne par Mitterrand, Kohl et Delors est révolue. L’Europe est aujourd’hui une négociation sans fin entre États. La difficulté aujourd’hui, ce sont les anti-européens, pas les eurosceptiques, ni les désabusés de l’Europe.
Que doit faire la France ? D’abord retrouver la confiance en elle… Avant de réformer ou après, c’est selon. Le pessimisme français est mondialement connu, de même que ses prétentions à être le pays des droits de l’Homme. « Nous ne sommes en fait que la patrie de la déclaration universelle des droits de l’homme », disait Robert Badinter. Les enjeux écologiques doivent aussi être investis rapidement par le monde économique, comme une opportunité, indépendamment des graves dangers qui pèsent sur l’environnement.
Anne-Dauphine Julliand, journaliste – Le bonheur en dépit de tout
Je ne suis pas maître de mon destin. Je le sais depuis le 1er mars 2006. J’avais tout pour être heureuse avec mon mari et mes deux enfants, et je croyais tout contrôler. Mais j’ai remarqué un jour que ma fille Thaïs avait un petit problème pour marcher ; cette imperfection m’a contrarié. Malheureusement ce sentiment s’est transformé en douleur quand j’ai appris qu’il s’agissait d’une maladie dégénérative, incurable et mortelle.
Thaïs a vécu jusqu’à quatre ans jusqu’au jour où elle n’était plus qu’ « un cœur qui bat » comme l’a décrit crument un médecin. Elle avait été heureuse et, jusqu’à la fin, elle avait aimé sa vie et ses proches. Son cœur a battu jusqu’au bout, en effet ! De mon côté, j’ai eu peur de ne pouvoir aimer Thaïs. En fait, j’ai ressenti son amour jusqu’à la fin, dans ses respirations mêmes. J’ai été capable de gravir cette montagne en talon aiguille… Parfois sans force mais tous les jours un peu plus loin. On est tous responsable de la dignité et de l’amour de l’autre.
Xin-Dong Cheng, galeriste et collectionneur d’art chinois contemporain – L’ »Etend-Art » du changement en Chine
La Chine d’aujourd’hui, deuxième puissance économique mondiale, n’est pas celle que j’ai connue dans mon enfance, une enfance passée dans le noir. La Chine est le pays des murailles, visibles et invisibles. Dans les années 1980, après Mao, une réforme de l’éducation a permis aux jeunes Chinois d’envisager un autre futur, avec des concours pour tous. Tous les Chinois ont voulu se projeter avec des voyages au-delà des villages séculaires ou à travers l’accès à des livres occidentaux et des revues underground. On sentait le changement malgré les batailles entre les conservateurs et les réformateurs au pouvoir.
Je suis parti vers Paris en 1989 à travers les pays communistes, en train. Arrivé en février à la gare du Nord, j’ai été frappé par les néons nombreux… C’était « Paris ville des Lumières » pour le jeune chinois que j’étais. Le destin m’a alors guidé vers la Galerie de France. Le ministère des Affaires étrangères organisa alors, en 1992, une exposition de Pierre Soulages en Chine : je retrouvais quatre ans plus tard mon pays, toujours dans le noir… de Pierre Soulages. J’ai réalisé que mon destin était alors d’être ce pont entre ces deux grands pays grâce à l’art contemporain et pour faire changer la société et le monde. En 1999, j’ai décidé de créer une galerie privée à Pékin pour contrebalancer l’art officiel. Pour l’exposition de Daniel Buren au palais impérial, j’ai dû obtenir 36 autorisations ! Aujourd’hui, la censure existe selon les mêmes interdits (violence, sexe, politique) mais les méthodes ont changé : la police n’enquête plus jusque dans les villages et les familles des artistes ; elle enquête de manière plus accueillante aujourd’hui dans le cadre des préparations d’expositions. Comme quoi, la culture atteint son but dans son projet de rapprochement des peuples et d’ouverture des esprits et des systèmes politiques.
Nicolas Baverez, économiste et historien – La France en risque
L’État est désormais contourné par la technologie et le terrorisme. Ensuite, l’occident n’a plus la maîtrise du monde. La déstabilisation du salariat remet en cause les États. Les frontières évoluent entre privé et public avec des investissements dans l’éducation, la santé, le logement, la sécurité ; aussi entre le consommateur et le producteur quand Internet permet à chacun de produire de la richesse avec son habitation ou sa voiture.
L’Europe s’est construite sur une garantie de sécurité par les États-Unis, sur une lutte face à la Russie, sur la réconciliation franco-allemande, sur l’économie de marché pour construire du politique. Tous ces éléments sont caduques aujourd’hui. C’est l’heure de vérité entre intégration et désintégration… L’Union doit se repositionner sur la sécurité, économique et territoriale. Et c’est la France qui est l’élève malade de l’Europe avec une croissance nulle, pas de création d’emplois, 180 000 jeunes qui sortent du système scolaire sans savoir ni lire ni écrire, 15% des Français qui ne vivent que des aides publiques. Tableau unique dans le monde. Le fondamentalisme touche également très fortement la jeunesse. L’État régalien a été cassé. L’investissement militaire et dans la justice sont en forte baisse.
Beaucoup de leviers existent et les démocraties sont réformables comme l’ont montré le Canada, la Suède, l’Allemagne et les réformes espagnoles récentes. Parmi les atouts français : démographie forte, capital humain recherché, la Frenchtech, un secteur public bien portant en matière de défense, des énergies bon marché, son patrimoine, sa civilisation… Autant de fondamentaux positifs pour une relance. Les politiques absurdes menées depuis vingt ans en France ont ruiné ces atouts. Alors comment faire ? Flexibilité du travail, intégration des immigrés et de leurs enfants, rétablissement de la sécurité en France et appui par l’éducation et le marché du travail, essor du numérique dans la santé et l’éducation… Voilà des préalables à une renégociation européenne avec l’Allemagne. On peut remettre un grand pays en marche en moins de cinq ans, à l’exemple de l’Allemagne.
Oussama Amar, entrepreneur, fondateur de The Family – La nouvelle économie pour changer le monde
L’âge industriel a permis de baisser la qualité des produits pour dégager des marges. Les fortunes se sont faites sur l’investissement et la distribution. L’âge entrepreneurial crée au contraire de la qualité et de la valeur car le coût d’entrée est faible : aujourd’hui on peut vendre avant de produire ! Les amateurs ont pris le pouvoir sur youtube en détruisant la valeur des industriels de la musique mais la création n’a jamais été aussi forte. La géographie et les nations n’existent plus face à Internet et aux sociétés du numérique : elles construisent des centres informatiques mobiles, pour pouvoir « déménager » et échapper aux taxes des États si besoin est !
Le travail est valorisé en France mais c’est le pur produit de l’ère industrielle, donnant un statut depuis seulement le XXème siècle : une fois disparue cette ère, le travail disparaitra. Exemple avec une société comme Agricool qui produit dans des conteneurs verticaux des fraises bios avec de l’énergie renouvelables et moins d’eau. Une révolution pour le secteur agricole.
Ces transformations radicales sont binaires : on passe de ce qui n’existait pas à quelque chose qui existe tout de suite, massivement. Face à ces disruptions, soit on agit en consommateur conquis, soit on conteste avec mauvaise foi car on est « uberisé » dans sa propre activité. Le nouveau monde est déjà là : on ne peut pas traiter d’un problème nouveau avec de vieilles recettes. Tous nos repères valeur/légitimité, et le travail notamment, passent par la fenêtre en ce moment. Préparons-nous à l’imprévisible et aux exponentielles de croissance et de créativité !
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Maxime Lavandier
Discussion
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