Le 27 avril dernier, le 18/20 de l’APACOM a reçu Anne-Sophie Novel, journaliste indépendante, auteure et réalisatrice spécialisée dans les questions d’écologie, d’environnement et d’innovation sociale. C’est en répondant aux questions de Lisa Wyler, qu’Anne-Sophie Novel nous a parlé de l’émergence du journalisme d’impact dans un paysage médiatique français en rupture avec son public.
Qu’est ce que le journalisme d’impact ?
Journalisme d’impact, de solution, positif ou encore constructif, tant de noms attribués à une vision de la posture journalistique qui émerge petit à petit en France. Bien que l’on puisse apporter une nuance dans la définition de tous ces termes, ils se réfèrent sensiblement à la même chose. Au-delà de mettre en évidence un problème, le journalisme d’impact apporte au lecteur différentes solutions existantes en expliquant les avantages et les inconvénients de chacune d’entre elles. “Le journalisme d’impact donne des solutions et de l’espoir et ne laisse pas le lecteur sur un sentiment de négativité”, nous explique Anne-Sophie Novel. Historiquement, les journalistes ont du mal à accepter cette forme journalistique qui se rapproche, selon eux, de la communication. De plus, de nombreuses critiques ont accusé le journalisme d’impact d’être trop idéaliste ou naïf. Cependant, en s’attardant sur sa méthodologie, on se rend compte que c’est, en réalité, un travail de recherche très sérieux avec “une méthodologie rigoureuse qui, au même titre que le journalisme d’investigation, doit avoir de hauts standards de qualité journalistique.”, explique Pauline Amiel dans son ouvrage Le journalisme de solution. En outre, contrairement aux idées reçues, le journalisme d’impact n’est pas un exercice de communication puisqu’il respecte une neutralité en présentant à la fois des initiatives porteuses de solutions mais également leurs limites. Il ne s’agit pas de faire la promotion de ces solutions mais simplement de notifier leur existence.
Dans une société où les citoyens se méfient de plus en plus des médias et des journalistes, le journalisme d’impact peut intervenir en tant que médiateur pour regagner la confiance du public. Bien sûr, le journalisme d’impact ne remplacera jamais le journalisme plus traditionnel qui traite de l’information chaude, cependant, c’est un outil complémentaire essentiel.
La place du journalisme d’impact en France
Les origines du journalisme d’impact
Le journalisme d’impact est né aux Etats-Unis à la fin des années 90 dans le magazine U.S. News & World Report. Même si le magazine n’a pas revendiqué le terme de journalisme d’impact ou de solution, il s’agissait bien d’un premier article, sous forme de liste, qui présentait de manière impartiale les avantages et les inconvénients de rejoindre des universités américaines. C’est ensuite au Danemark que cette nouvelle forme de journalisme va se développer en 2007. “Lisbeth Knudsen, rédactrice en chef de la plus importante entreprise danoise de médias, Berlingske Media, écrit un éditorial dans l’objectif d’appeler à un journalisme plus positif et constructif afin de lutter contre le prisme négatif de la plupart des reportages”, nous raconte Pauline Amiel dans son ouvrage Le journalisme de solution.
La même année, le journalisme d’impact est apparu dans les médias français dans le quotidien national Libération. Grâce à la création de l’ONG Reporters d’espoir, le phénomène a pris de l’ampleur et d’autres journaux français comme Le Monde ont créé leur rubrique journalisme de solution. Malgré les initiatives et le travail de sensibilisation d’organismes comme “Reporters d’espoirs” ou “Collectif Antidote”, les formes de journalisme d’impact les plus abouties en France se retrouvent uniquement dans de petits journaux indépendants. “Il est important que les gros médias nationaux s’emparent sérieusement du journalisme de solution”, nous confie Anne-Sophie Novel. Malheureusement, cette forme journalistique demande énormément de temps et d’argent ce qui ne la rend pas très populaire auprès des rédactions.
L’avenir du journalisme d’impact en France se trouve peut-être du côté de la jeune génération de journalistes qui sont plus sensibles à certaines questions environnementales ou sociétales. Des écoles de journalisme telles que l’IJBA ou l’ESJ l’ont bien compris et proposent déjà des cours sur le journalisme d’impact.
Responsabilité du journaliste envers son public
Depuis le mouvement des Gilets Jaunes, les critiques faites aux journalistes à propos de leur manière de traiter l’information ont été virulentes. On leur reproche d’être déconnectés de la réalité, d’avoir une mauvaise représentation du peuple français ou encore de ne rapporter que les informations négatives. Depuis la crise de la Covid-19, cette critique s’est intensifiée puisqu’une étude de ViaVoice en 2020 pour les Assises Internationales du Journalismes montre “qu’un français sur deux considère que le traitement de la pandémie dans les médias est anxiogène”. Une défiance s’est véritablement installée chez les français qui, pour certains, n’ont plus confiance en l’information qu’ils reçoivent et, pour d’autres, arrêtent de s’informer. “Les français entendent, sans cesse dans les médias, des gens donner leur opinion sans pour autant qu’il y ait de la vraie information. C’est normal que le public se sente mal !”, nous confie Anne-Sophie Novel.
SERHII YAKOVLIEV VIA GETTY IMAGES
Le journalisme d’impact considère, qu’en tant que média, il a un rôle à jouer dans la société. Si l’on prend le temps d’enquêter et d’observer un problème et ses solutions sous tous les angles, c’est pour apporter de l’information positive et surtout utile au public. “La mauvaise ou la surinformation peuvent avoir des conséquences terribles sur la société” , nous confie Anne-Sophie Novel. Le journalisme d’impact met au cœur de sa réflexion des questions telles que la santé, le développement durable ou encore l’éducation pour accompagner au mieux le public dans l’appréhension du monde qui l’entoure. Le travail des journalistes est aussi influencé par la demande de leur public, et c’est vers cela que tend le journalisme d’impact.
“Quand vous interrogiez les Français il y a 20 ans, 80% vous disaient que le rôle du journalisme est de parler des mauvaises nouvelles. Aujourd’hui, dans la grande enquête France Télévisions « Ma télé, ma radio, demain », 82% des gens demandent des initiatives positives. Donc ça s’est inversé complètement », déclare Gilles Vanderpooten, directeur général de Reporters d’espoir dans une interview d’Europe 1.
Communicants et journalisme d’impact local
Depuis quelques années, des médias locaux se sont remis en cause en questionnant leur façon de traiter l’information. Malheureusement, cela ne concerne que certaines régions françaises et en réalité très peu de médias locaux se tournent vers le journalisme de solution. Les rédactions n’ont souvent pas assez d’argent pour financer de longues enquêtes et se trouvent face à un public qui n’est pas prêt à investir une partie de leur budget dans l’accès à l’information. “On passe à côté d’une opportunité d’avancer ensemble et de renouer avec le public.”, nous dit Anne-Sophie Novel. De plus, pour les communicants le journalisme d’impact est une façon de donner de l’ampleur à un projet qui s’inscrit dans une question de société. Même si le journalisme d’impact met du temps à traiter les informations, il représente un outil complémentaire pour le travail des communicants.
Le journalisme d’impact se présente comme une solution adéquate pour renouer une relation de confiance entre la presse et le public. Cependant, en se présentant en un format long, il propose à une population habituée à avoir de l’information rapide, d’appréhender un sujet en profondeur. Nous devons donc l’assimiler comme un outil complémentaire au journalisme plus traditionnel.
Emilie Sadeyen